Moi qui pâlis au nom de Vancouver
Nouvelle écrite en 2002
Inédite
Une nouvelle pleine de fraîcheur et de fantaisie, mais pas drôle pour celle qui en a fait les frais.
Écrite pour le Centenaire de Marcel Thiry, à partir d’un vers du poète. (Moi qui pâlis au nom de Vancouver).
Ce mot de Vancouver évoque pour la narratrice - petite fille à l’époque - des choses mystérieuses, qu’elle s’efforce de décoder. Qu’est-ce que c’est que ce vent couvert, d’où vient-il, et que vient faire chez eux ce Bill, ami de son père, qui, paraît-il, est poète ? Encore un mot inconnu, poète...
Devenue adulte, elle explique sa rancœur, car le poète était aussi un affreux farceur, et elle lui en veut toujours de ce qu’il lui a fait subir.
Présentation
Ne comprenant pas du tout de quoi il s’agit, l’enfant s’aventure dans des explications de plus en plus saugrenues, qui provoquent l’incompréhension et parfois le mécontentement de ses parents. Et elle comprend de moins en moins ce Vancouver.
Mais c’est pire quand arrive Bill, le mystérieux poète, car il prend un malin plaisir à mystifier l’enfant. Et à lui faire des farces d’un goût plus que douteux. On comprend qu’elle pâlisse au nom de Vancouver !
L’humour est roi. Jusqu’à un certain point.
Extrait
Moi qui pâlis au nom de Vancouver, tu n’as jamais compris pourquoi… Eh bien, je vais te le dire.
Aujourd’hui, je vais te le dire.
C’est que ce mot a provoqué bien des remous dans mon enfance. Je l’ai entendu prononcer pour la première fois le jour où il fut question d’un ami de mon père qui devait nous rendre visite. Un poète.
J’étais petite et j’ignorais qu’il s’agissait d’une ville. J’avais compris vent couvert et comme, à mon avis, le vent ne pouvait être couvert, j’avais remplacé par temps couvert. Cela avait un sens. L’ami viendrait par temps couvert. Mais quand j’ai demandé comment il saurait que le temps serait suffisamment couvert pour entreprendre le voyage, on me rétorqua qu’il viendrait par n’importe quel temps !
Je crus avoir mal compris. Ce n’était pas temps couvert mais tant couvert. Il devait être frileux. Mais non, répondit-on, pas tant couvert. Vancouver. Ce que je compris à nouveau vent couvert évidemment. De quoi le vent peut-il être couvert ? De nuages ?
Et … s’il n’était pas question du vent, du grand vent bien connu, mais d’un autre type de vent, des vents discrets, des vents secrets, dont on ne parle qu’à mots couverts, des vents couverts de vêtements… Je veux dire des pets. Ces petits soupirs de notre tube digestif, dont on rit ou dont on s’offusque, mais qui ne laissent pas indifférents. Car, curieusement, l’air qui sort de notre appendice nasal a la très noble fonction de nous maintenir en vie. L’air qui sort de notre orifice buccal a la très noble fonction d’exprimer notre pensée et d’entretenir la relation avec nos très nobles semblables. Mais celui qui sort à l’autre bout, malheur à qui en parle, malheur à qui l’émet. L’air s’est chargé d’opprobre en empruntant un autre canal de notre noble corps…
Il était donc logique et prévisible que l’on poussât les hauts-cris quand j’émis l’hypothèse que ce monsieur souffrait de flatulences. J’utilisais un autre mot à l’époque mais je n’aurai pas l’irrévérence de le citer ici. J’échappai de peu à la gifle que méritait pareille insolence. Devant mon air penaud, on m’expliqua qu’il s’agissait d’un port canadien. Ce qui ne fit qu’augmenter ma perplexité. Car, dans mon esprit truffé de contes d’enfants pleins d’animaux, je compris porc canardien. Animal fabuleux, mi-cochon, mi-canard, queue de cochon, bec de canard ou vice-versa. Drôle de relation pour mon père, mais les adultes sont parfois bizarres. Et n’oublions pas qu’il était poète. C’est-à-dire « pas comme tout le monde ».