Plume
Nouvelle écrite en 2002
Publiée dans la revue Les chemins de traverse en juin 2010.
Et publiée dans le recueil Les couleurs de la peur aux éditions M.E.O. (2021)
Daniel Plume a rendez-vous avec Simone, la femme de sa vie, à la Foire du Midi. Comme il est un peu trop tôt, il entre dans la roulotte d’une voyante. Il n’y croit pas, c’est juste pour passer le temps. Cette femme lui dit de se méfier des miroirs, et lui parle de bouches ovales prêtes à l’avaler… Bêtises ? Peut-être pas !
Il ressort, un peu mal à l’aise, puis il voit arriver Simone. Ils entrent au Palais des Glaces, histoire de rire un peu.
Une distinction
Présentation
Le malaise de Plume s’accentue devant les silhouettes de sa fiancée dans les miroirs déformants du Palais des Glaces. C’est pire encore quand, à la sortie, il voit deux, puis trois Simone autour de lui !
Il ne sait plus où donner de la tête devant cette multiplication subite ! Trois femmes, semblables à quelques détails près, mais des détails de taille ! Où est la vraie Simone ? Est-il sûr de bien la connaître ? Est-il sûr de l’aimer ?
Cette nouvelle a été finaliste au concours de la Fureur de Lire 2002. Thème imposé : « miroirs ».
Elle joue avec humour sur le thème de l’identité, de la réalité des individus et de la perception qu’on en a.
Extrait
C’était l’été. La foire du Midi battait son plein. Nous nous étions donné rendez-vous devant le palais des glaces car notre intention était de commencer par là. Histoire de rire un peu. J’avais une demi-heure d’avance et je battais la semelle dans le tohu-bohu et les odeurs de frites. J’avisai l’antre d’une voyante extra-lucide. Je n’y croyais pas, bien sûr. On n’y croit jamais mais on y va quand même.
Je soulevai le lourd rideau de velours mauve et fus saisi par une odeur très... comment dire... orientale. Parfum de musc et de Dieu sait quoi, qui m’étourdit dès l’entrée. Un autre monde. Elle trônait, la voyante, au milieu de ses voiles et des miroirs clinquants. Dès qu’elle me vit, ses yeux brillèrent, elle me tendit une main grassouillette, m’annonça les tarifs pour une petite et une grande voyance. Je choisis la petite, n’ayant que peu de temps à perdre et peu de sous à lui laisser. Elle soupesa ma main, la caressa de ses doigts frais et s’abîma dans la contemplation de ma paume. Ses voiles laissaient deviner des formes généreuses. Je détournai le regard, regrettant cette lubie. J’aurais mieux fait de m’offrir une barbe à papa. Elle me regarda droit dans les yeux :
- Méfiez-vous des miroirs, mon pigeon, roucoula-t-elle. Ils vont vous gober. Je vois trois bouches, trois bouches ovales, prêtes à vous avaler.
Quel tissu d’âneries. Elle me pressait la main pour en exprimer toute la vérité, comme on presse une orange pour en avoir le jus. Je voulus retirer ma précieuse main, elle la retint et me gratta le milieu de la paume du bout de l’ongle, écartant une pellicule symbolique qui masquait la vérité. Ce geste me remit en mémoire celui que je faisais quand je grattais l’entrée d’une fourmilière pour exciter les fourmis et les amener à sortir, affolées, agressives. Cela dut marcher car brusquement les fourmis de la vérité apparurent aux yeux de la voyante.
- Je vois. Elles sont trois, trois sirènes à vos oreilles. Affreux destin.
Je frémis. Pour un peu, elle m’aurait fait peur. J’avalai ma salive, retirai ma main et demandai :
- Que dois-je faire ?
- À vous de voir, mon pigeon. À vous de voir. Ça vous plaira peut-être.
Elle me regardait d’un drôle d’air, je me sentis troublé. Je me levai d’un bond, me cognant la tête à la lampe à huile qui se balançait au-dessus de la table. Plein d’huile dans les cheveux, plein les yeux. J’en avais surtout plein le dos, de la voyante et de ses balivernes. Je filai sans demander mon reste. Elle tenta de me retenir.
- Attendez, mon pigeon, je n’ai pas fini.
Revue de presse
Se rapporter à la revue de presse du recueil Les couleurs de la peur.