Mauve et violet
Nouvelle écrite en 2006
Inédite
Nouvelle noire
Une femme détective, qu’une banale enquête d’infidélité conjugale mène sur les traces d’une sordide affaire criminelle, qui se révélera finalement la concerner de très près. En effet, cette filature va prendre une tournure personnelle quand elle recevra un message téléphonique qui lui apprendra une terrible nouvelle.
Et là, l’émotion va prendre le pas sur le professionnalisme.
Présentation
La détective filait depuis quelques semaines un dénommé Victor Piolet, peintre de petit renom, que sa femme soupçonnait de recevoir une ou plusieurs maîtresses dans une vieille bicoque qu’il avait acquise et dont il avait fait son atelier.
Pour le pister de plus près, la détective se fait passer pour une journaliste venue l’interviewer. L’homme a un regard hypnotique, une voix envoûtante, et est très séduisant, mais affirme n’avoir qu’une seule femme dans sa vie, la sienne, couple sacré.
Il ne peint que des enfants, mais des enfants fantomatiques, de dos ou le visage dissimulé, et dans des tons funèbres.
L’ambiance se fera de plus en plus étouffante, jusqu’au dénouement final, meurtre accompli.
Extrait
Il se passa alors une chose époustouflante. Il ne répondit pas. Brusquement, en pleine conversation, il s’écroula. Là, devant moi, sans crier gare. Il tomba endormi ! Il paraît que c’est une maladie, un trouble du sommeil. Narcolepsie. C’est ahurissant. L’individu tombe littéralement endormi, alors qu’il était debout, en pleine activité, et c’est un sacré handicap. Moi, ça m’arrangeait bien, vous pensez. Sa femme m’avait prévenue de cette maladie quand elle m’avait parlé de son mari. Mais je n’y croyais pas avant d’avoir vu. C’est très impressionnant.
J’en ai profité pour fureter rapidement, renifler les verres, ouvrir les tiroirs, déplacer les objets, soulever les vêtements. Et j’ai trouvé quelque chose. Oh pas grand-chose. Juste un cheveu. Un grand cheveu blond. Un cheveu, ça vole, ça tombe de la tête d’une serveuse de bar. D’une voisine de métro. Ou d’une visiteuse clandestine.
Les poubelles… Toujours révélateur… Je fouille du bout des doigts en évitant de faire crisser le papier. Du papier brûlé… Inutilisable. Mais étonnant. On ne se donne pas souvent la peine de brûler des papiers quand on est seul à vivre dans une maison… Rien à en tirer. Il s’effrite sous mes doigts.
Je poursuis mon inspection dans les autres pièces. Vides. Rien, à part la poussière. Des traces sur le parquet poussiéreux. Des pas, des traînées. Qu’est-ce qu’on y a traîné ? Des meubles, lors d’un précédent déménagement ? Ou autre chose ? Des coups dans les murs. Certains plus frais, le plâtre y est plus blanc. Du plâtre au sol aussi. Des gouttes de bougie et de peinture. Vient-il travailler ici, Piolet, quand son atelier est trop étroit ? Et Bertrand ? S’est-on battu dans cette pièce ? J’en fais le tour sans découvrir d’indices probants. Des traces de doigts sur la porte. Des grands, des petits. Beaucoup de traces. Qui ne prouvent rien. Combien de gens sont-ils passés dans cette maison depuis sa construction ?
Une chambre à coucher. Un lit défait, trois oreillers. Une couverture en boule. Une garde-robe avec un miroir. Sur le miroir, des traces de pattes… fleurs de poussière. Indice ! Un chat a dû sauter là-haut et en descendre à la verticale, comme savent le faire les chats. Piolet m’avait dit les détester, trop doux et onctueux. Ce chat n’est pas à lui. Il a dû entrer en douce… Je vérifie la fenêtre, elle ferme mal, le bois a joué… On peut la pousser très facilement. Bertrand serait-il entré par là ? Comme je regrette de ne pas avoir le flair d’un chien… Moi je n’ai que mes yeux, qui ne décèlent rien du tout sur ce bois écaillé de peinture. Je repousse le battant sans arriver à refermer.
La chambre donne sur le jardin. L’envie me prend d’aller y faire un tour, dans ce jardin. Il est grand, touffu, plein de buissons, de ronces et de chardons. La vie sauvage, la nature sans la main de l’homme. Plutôt impénétrable. Des chants d’oiseaux se croisent et s’entrecroisent dans les feuillages. Indifférents à tout et surtout à moi, qui étudie les traces dans l’herbe folle. On est passé par là. C’est indubitable. Mais qui ? Piolet a pu chercher dans son jardin un décor à son goût… Ce saule, par exemple… je l’ai vu, ce saule, il figurait sur plusieurs toiles, avec ses branches de sorcière.
Un détective privé se fie à son instinct et à sa bonne étoile. La mienne me dit de suivre les traces d’herbe foulée et de buissons ravagés. C’est fou ce que la végétation prend de l’extension si on la laisse faire. Derrière les buissons, je découvre une mare. Puante. Couverte de mousse verdâtre. Je n’aime pas ce genre de lieu. Il s’en dégage toujours une odeur de vase et de pourriture. Sinistre.
Un peu plus loin, les restes d’un feu. Qu’est-ce qu’on a brûlé ? Sûrement pas des feuilles mortes ! Je m’accroupis pour étudier les traces. Les fouille avec un bâton. Des boutons métalliques. Et une pince à cheveux.
C’est à ce moment précis que la sonnerie de mon portable m’a arrachée à mon enquête, alors que je la voyais se dessiner de plus en plus nettement devant moi. Et ça faisait peur. Mais la nouvelle que l’on m’a assenait a achevé de me briser. Un drame personnel, qui me touchait de plein fouet dans ce que j’ai de plus précieux.
Et c’est là que le hasard a joué. Le coup de piolet du destin, qui a pointé en un seul lieu, espace, temps plusieurs destinées. En un seul bleu affreux.