Quand canicule rime avec bascule…
Nouvelle noire écrite en 2009
Inédite
Quand les corneilles mènent un tel tapage au sommet d’un grand immeuble, c’est qu’elles ont une bonne raison. Probablement qu’elles ont trouvé une provende intéressante.
De fait, une femme s’y trouve égorgée, et les charognards s’en donnent à cœur joie. Un homme les observe, depuis la rue. Saurait-il quelque chose ?
Présentation
Un immeuble de vingt-cinq étages, à Bruxelles. Panorama impressionnant sur la ville. Mais il n’y a pas que cela à voir quand on est sur le toit. On peut admirer aussi la plastique impeccable d’une habitante qui prend le soleil en tenue d’Eve sur sa terrasse au vingt-quatrième étage. Elle l’a pris pour la dernière fois ce jour-là, le soleil, car la voilà morte à présent, sanglante et picorée par un cortège de corneilles affairées. Les corneilles ne s’en prennent pas aux vivants. Quelqu’un était passé avant elles. Qui ? Et pourquoi ?
Quelqu’un le sait, car il a tout vu. Mais il ne parlera pas.
Extrait
Une marée de toits rouges, gris, irréguliers comme les pavés d’une route mal entretenue, dont émergeaient d’arrogants buildings anguleux, qui accrochaient les regards. Ça et là, des clochers d’église noyés dans la masse, Sainte-Gudule, Saint-Guidon, la flèche de l’Hôtel de Ville, le dôme du Palais de Justice. À droite, une tour de réfrigération fumante, à gauche, en se penchant fort, l’extraordinaire silhouette de l’Atomium. Et des arbres, un peu partout, des arbres.
- J’ai vu passer un héron tout à l’heure, fit l’homme. C’est fou, en pleine ville.
- Normal, ils vont d’un étang à l’autre, fit le gars en haussant les épaules. On a beaucoup d’eau et beaucoup de parcs, c’est cool.
- Je n’avais jamais vu de héron. Il est passé à quelques mètres.
- Allez venez, on va zieuter la meuf, on est là pour ça. Et tenez-vous, ce sera pas beau.
C’était pire que pas beau, c’était abominable. Elle gisait nue, luisante d’huile solaire, bronzée et appétissante, mais la gorge ouverte, charcutée, picorée, déchiquetée. Pleine de sang plus ou moins séché.
Un instant dérangées par ces créatures verticales, les corneilles s’étaient à nouveau éparpillées, mais sans envol de fuite ou de menace, sautillant simplement, battant des ailes, penchant la tête en manière de surveillance. Inutile de se déranger une deuxième fois.
L’homme frissonnait, incapable de s’arracher à la vision. Cette femme, il l’avait vue bien vivante tout à l’heure, depuis le toit, en se penchant pour repérer l’Atomium. Elle se prélassait tranquille sur un matelas gonflé, les yeux fermés, ronronnant comme chatte au soleil. À quelques mètres, comme le héron, aussi belle, aussi incroyable, aussi inaccessible que lui. Il ne pouvait que l’admirer, comme la ville étalée à ses pieds écrasée de soleil, comme le bel oiseau gris volant majestueux vers le prochain point d’eau .
Ses cheveux sombres moussaient en vagues souples autour de son visage épanoui, le corps s’offrait au soleil, membres entrouverts, paumes au ciel, afin que la lumière pût pénétrer partout sauf à l’endroit le plus intime, pourvu d’une abondante toison sombre, qui attirait le regard comme un aimant.
L’odeur de l’huile montait jusqu’à lui, légèrement vanillée, et il pouvait entendre la musique qu’elle écoutait, cachée sous les cheveux. Elle dut sentir le poids d’un regard, car elle ouvrit soudain les yeux, parut surprise de voir quelqu’un, mais pas autrement gênée. Après tout, elle était chez elle…