Rouge amour
Nouvelle écrite en 2013
Publiée dans la revue Francophonie vivante (avril 2013)
Et dans le recueil Les couleurs de la peur, M.E.O. éditions (2021)
Les souvenirs douloureux d’une femme excisée quand elle était enfant, la souffrance physique et morale endurée depuis lors. Sa révolte et la vengeance qu’elle projette.
Présentation
Cette nouvelle a été écrite pour répondre au thème « Rouge » proposé par la revue Francophonie vivante en mars 2013.
J’y ai vu l’occasion de mettre en lumière cette pratique odieuse qui, de nos jours encore, mutile à jamais chaque année des millions de femmes et de fillettes dans le monde.
Cette nouvelle est évidemment très cruelle, au point qu’on m’en a un jour interdit la lecture publique dans une réunion littéraire (où il n’y avait que des adultes, précisons-le) préférant sans doute ignorer la réalité que la voir en face.
Pourtant, c’est en en parlant et en soulignant l’horreur que l’excision représente pour les femmes qu’on peut espérer arriver un jour à voir éradiquer cette coutume barbare. Une fiction où apparaissent le vécu et le ressenti d’une femme excisée est sans doute meilleur avocat que des articles ou des statistiques.
Précisons encore que, normalement, Francophonie vivante ne publie pas de fiction, mais a fait une exception pour ce texte, étant donné la nature de ce qui était exposé. Qu’ils en soient remerciés.
Extrait
Le rouge, elle l’a en horreur. Rouge cerise, rouge tomate, rouge pivoine. Rouge sang. Depuis l’enfance. Depuis ses huit ans exactement. Depuis ces horribles vacances chez sa grand-mère.
Elle y est retournée depuis, en vacances. Chez sa grand-mère. Mais elle ne lui a plus jamais adressé la parole. Plus jamais.
Et maintenant, elle dort, cette grand-mère. Elle dort là, dans son lit. Dans son lit à elle. Car elle lui a prêté son lit pendant son séjour ici. Il faut l’opérer, la vieille, d’une tumeur. Une excroissance à lui ôter demain, à l’hôpital, sous anesthésie générale. Ses parents ne pouvaient pas loger l’aïeule. Pas de place. Tandis qu’elle, dans son studio… elle a un lit. Normal qu’elle le lui cède. Elle a pris le canapé. Pour une nuit.
Elle y est maintenant, sur ce canapé, assise, droite, immobile, le souffle court, une main enserrant l’autre à lui faire mal. Immobile. A revivre. A souffrir. A haïr.
Ses doigts se croisent en une prière muette. A qui ? Elle baisse la tête. C’était l’été. Il faisait chaud. Très chaud. Elle était si heureuse de connaître la famille au sens large, de rencontrer des parents éloignés jusqu’alors inconnus. Et sa grand-mère. Il y avait fête au village. Elle avait suivi le groupe des fillettes, toutes parées de leurs plus belles tenues, chamarrées, colorées, bigarrées… Un vrai régal pour l’œil. Et leurs jolis sourires…
On les appelait une à une. Et les autres restaient à attendre. En file. La mine plus grave tout à coup. Car on entendait des cris derrière les fifres et les tambours. Chacune pourtant partait confiante, la main dans la main de l’adulte qui l’accompagnait jusqu’au lieu de la cérémonie.
Et là, sans plus de cérémonie, on les allongeait, leur troussait la robe, leur maintenait fermement bras et jambes, cuisses ouvertes, sexe exposé. Et la femme approchait. L’officiante. L’exciseuse. C’était sa grand-mère qui remplissait l’odieux office.
Elle s’était accroupie lentement, sans un mot, sans un regard pour l’enfant terrorisée, le rasoir avait lancé un éclair et le cœur s’était mis à battre comme un tam-tam affolé, le corps s’était tortillé en tous sens comme un ver devant ce qui l’attendait mais implacables, les mains des assistantes s’étaient resserrées en serres indesserrables, la contraignant à l’immobilité absolue. Les doigts avaient dégagé l’objet délétère, l’impur clitoris à éliminer. Le rasoir avait tranché. D’un coup, le clitoris avait volé, sectionné, le sang avait giclé, elle avait hurlé sous la douleur atroce qui la transperçait de part en part jusqu’au sommet du crâne. Insupportable. Sexe explosé.
Mais la fête n’était pas finie.
Revue de presse
Dans Inédit nouveau
"Dans Francophonie vivante, les collaborateurs s’en sont donné à cœur joie en parlant de tout et n’importe quoi. Par exemple en recensant deux livres dont les titres contiennent le mot "rouge". C’est encore Isabelle Fable qui s’en est le mieux sortie en étudiant les rapports du rouge et de l’amour. Là au moins le thème a prêté à réflexion...etc. J’ai lu la nouvelle, elle est remarquable et tout à fait dans le sujet. Le rouge n’y est pas qu’un prétexte, puisque c’est la couleur du sang. Bravo !
Paul Van Melle
Pour en lire d'avantage, vous pouvez vous référer à la revue de presse du recueil Les couleurs de la peur.