Étincelle, dynamite ou dynamique
Nouvelle écrite en 2015
Publiée dans la revue Reflets Wallonie-Bruxelles n° 45 (2015)
et dans le récit Ces trous dans ma vie, M.E.O. éditions (2019)
Nouvelle écrite pour le concours de la Maison de la Francité sur le thème « étincelle ».
Lauréate, mais pas publiée dans le recueil des « meilleurs textes du concours 2015 », qui ne reprenait que les dix premiers. J’avais la onzième place…
Présentation
Le mot « étincelle » m’évoquait à la fois l’étincelle qui met le feu aux poudres et provoque un désastre, et l’étincelle qui boute le feu indispensable à la vie humaine aux temps préhistoriques.
J’ai conçu sur ce thème ambigu une nouvelle reprenant mon état d’esprit à la mort de mon mari survenue deux ans plus tôt, la façon dont je me suis trouvée complètement perdue, et dont j’ai dû rééquilibrer ma vie pour apprendre à vivre sans lui.
Je vois sa mort comme une étincelle qui dynamite ma vie et la détruit, mais en même temps la dynamise en m’obligeant à faire face et à cesser de m’abriter derrière lui. Un texte écrit dans les larmes, qui me fait revivre la douleur quand je le relis.
Je l’ai repris dans son intégralité quand, suite à la mort de mon fils aîné en 2018, j’ai entrepris un travail de deuil et de résurrection dans mon récit Ces trous dans ma vie. On a besoin d’extérioriser, de partager la douleur et la remontée qui suit, qui doit suivre – car la vie continue.
Extrait
Étincelle de mort qui éteint celle de vie ?
Ou qui étincèle de vie ?
Ta mort, maléfique étincelle qui a mis le feu à ma vie, m’a propulsée dans la solitude…
Ta mort, qui a fait exploser le foyer qui nous abritait depuis tant d’années, bâti jour après jour, brindille après brindille, peuplé d’enfants et de lumière…
Ta mort, qui a déchiré notre couple et m’a privée de toi, l’homme de ma vie depuis le jour où nous nous sommes dit oui. Oui pour la vie. Pour le meilleur. Et pour le pire.
Le meilleur, je l’ai connu pendant plus de quarante ans, avec les petits hauts, les petits bas, qui rythment la balançoire de la vie. Avec toujours le retour au sol, solide, de notre amour. Remettre pied à terre et repartir de l’avant.
Le pire, je l’ai connu quand cette horrible bête t’a rongé de l’intérieur, te suçant vie et force, te transformant en rescapé de Büchenwald, squelettique, le regard mort. Je t’ai vu fondre, j’ai vu pointer tes os et tomber tes cheveux. Je t’ai entendu dire à ton visage émacié dans le miroir : Quelle sale gueule…
Toi, peut-être, sentais venir la mort. Moi pas. Jusqu’au dernier jour, j’y ai cru. Nous allions y arriver. Nous allions ranimer l’étincelle, souffler sur les braises, chasser la bête immonde, comme les chasseurs préhistoriques chassaient par le feu les prédateurs qui les guettaient.
Tu ne pouvais pas mourir, ce n’était pas dans l’ordre des choses. Ce n’était pas possible, tout simplement. Tu n’avais pas fini de vivre. Nous n’avions pas fini de vivre. J’étais là. Et tes enfants. Tes petits-enfants.
Tu allais remonter la pente. À deux, on y arriverait. On allait surmonter l’obstacle, comme tant d’autres, main dans la main. Les petits mieux du traitement étaient autant d’étincelles d’espoir pendant des mois.
J’y ai cru. Jusqu’au dernier jour, j’y ai cru. Jusqu’à ce mardi funeste où je t’ai conduit à là clinique pour te soulager des effets de ce nouveau traitement qu’on t’imposait depuis dix jours et qui était insupportable. Il fallait qu’« ils » te soulagent, qu’ils pompent les déjections innommables de la bête en toi, qui faisaient gonfler ton ventre et te causaient d’épouvantables crises de hoquet. Tu n’en pouvais plus. C’était trop de souffrance. Tu avais mal partout.
Le lendemain, tu n’étais déjà plus là. Ton corps était là, sous un linceul de morphine. Mais toi, tu ne m’as plus guère vue ni entendue, l’esprit déjà engagé dans le voyage sans retour.
L’étincelle, l’atroce étincelle qui m’a sauté aux yeux quand j’ai ouvert la porte ce jour-là, qui m’a craché au visage l’horrible évidence, le mot brûlant, brutal, atroce : il va mourir.
Revue de presse
Se référer à la revue de presse du recueil Ces trous dans ma vie.