Neuf vies
Nouvelle écrite en 2020
Inédite
Nouvelle écrite pour le concours de la Maison de la Francité, sur le thème « circuit »
La vie offre des cycles, des moments où on se retrouve au point de départ, ou à un tournant majeur, prêt - ou non - à commencer un autre cycle.
La nouvelle met en scène la vie d’un chat, qui passe d’une vie à l’autre, sans comprendre ce qui motive ces changements de décor et d’ambiance, auxquels il doit chaque fois s’adapter.
Présentation
Le chat nous parle de sa naissance, unique, et des multiples vies qui lui sont imparties puisque, traditionnellement, il est réputé en avoir neuf.
La première vie est merveilleuse, entre sa Maman Chatte et ses frères et sœurs, avec un petit ange aux cheveux blonds qui le cajole en chantant… Mais les familles de chats sont destinées à éclater un jour, sous peine de devenir trop nombreuses.
C’est un déchirement, dont il faut se remettre pour se couler dans la vie suivante…
Et ainsi de suite, car il a l’impression de vivre un cercle, peut-être pas infernal, mais mitigé quand même !
Extrait
Ma naissance, je ne m'en souviens pas. Je dis bien "ma" naissance car, si nous avons neuf vies, nous, les chats, nous n'avons qu'une seule naissance. Lancés une fois pour toutes dans le circuit de la Vie, d'un coup de dé magistral.
Neuf vies… et quelques courts-circuits mémorables.
La première, la plus belle sans doute, avec Maman Chatte et mes coquins de frères et sœurs, s'est brisée un beau jour, sans que je sache comment ni pourquoi. J’étais le plus adorable des chatons, d’une belle couleur ambrée, avec des yeux presque transparents à force d’être clairs. Un petit ange blond me câlinait en chantant... Mais les anges géants qui vénéraient et nourrissaient Mère Chatte m'ont fourré sans raison dans une prison mobile, où j'eus beau protester comme un diable et miauler comme un perdu, encore et encore, pour finir par m'endormir de désespoir résigné. J’étais mort…
Mais quand j’ai rouvert les yeux, je n’étais pas mort du tout. J’ai découvert, ébloui, un nouvel univers, peuplé lui aussi d'anges roucoulants, mais d'aucun autre chat ! Déstabilisant. Mais je m’en accommodai vite. Seul de mon espèce désormais, j’occupai peu à peu toute la place. Au point de me rendre maître – discret mais absolu - de ce nouveau lieu de vie. Pas si mal après tout ! Ma majesté fourrée se prélassait d'aise dans ce nouveau milieu, ce nirvana, où ne me manquait que ma divine Maman Chatte, dont j'ai toujours conservé la nostalgie.
Heureux donc dans ma deuxième famille. Jusqu'à ce nouveau court-circuit, le jour où le mot "vacances" a fait irruption dans la maison, assorti d’un amoncellement de bagages, d’où l’on me chassait comme un malpropre, alors que je voulais juste les inspecter et m’assurer de leur confort. Rebelote, nouvelle prison, mobile à donner la nausée au pied le plus marin, si étroite que je n'arrivais qu'à peine à me retourner, étant donné ma taille et le somptueux pelage dont je m'enveloppais désormais. De maître des lieux adoré, j'étais soudain devenu persona non grata, bibelot encombrant envoyé aux oubliettes, pour partir en vacances.
Et me voilà catapulté dans une troisième vie. Peuplée cette fois d’une multitude de chats inconnus cantonnés dans une seule grande pièce nue garnie de coussins, paniers, gamelles, où il fallait se débrouiller pour exister. Ils appelaient ça un « refuge ». Tu parles d’un refuge ! Pas question de se concocter un coin tranquille. Juste se ménager une ligne de vie entre les dominants et les dominés, et supporter les allées et venues incessantes des bipèdes qui venaient nettoyer, nourrir ou visiter la foule féline. De temps à autre, l’un de nous disparaissait dans un panier-prison, on l’emportait et on ne le revoyait jamais. Funeste présage.
Un jour, ce fut mon tour. Je donnai beaucoup de fil à retordre au pâle bonze qui me prit en chasse, mais il finit par m’acculer dans la cage, je n’eus que le temps de garer ma queue, il a failli m’amputer, ce sauvage ! Vous me voyez sans queue ? J’aurais perdu mon étendard, mon équilibre et ce superbe panache ondoyant qui fait tout mon charme. Car, vous l’ai-je dit, je suis un chat de luxe, un de ceux qu’on paie cher. C’est ce qui m’a permis de quitter rapidement le « refuge » et de me retrouver propulsé dans ma quatrième vie. Pas désagréable, ma foi ! Un monde sans chat, de nouveau. Ça fait du bien, de se retrouver libre, sans devoir se méfier de l’un ou l’autre matou sournois qui se croit tout permis parce qu’il est né chat de gouttière et se prend pour O’Malley !