Les couleurs de la peur

Recueil de nouvelles
Éditions M.E.O.
2021
140 pages
15 €
Illustration de couverture : Photo signée Nicolas Fable
Disponible en librairie, chez l'éditeur et chez l'auteur
(et en livre audio à la Ligue Braille)
Présentation
Pour constituer ce recueil, j'ai sélectionné parmi mes nouvelles inédites une dizaine de textes axés sur un quotidien qui dérape soudain, entraînant les personnages dans l'angoisse, dans le doute, dans la peur. Les nouvelles sont de longueur variable, et font voyager le lecteur dans le temps et dans l'espace, d'Afrique en Italie ou ailleurs, tiraillés entre bonheur et horreur, entrevoyant l'amour, frôlant la mort...
Un homme rencontre son double, mais son double à vingt ans, alors qu'il en a le double, ce qu'il interprète comme un présage de mort. Un autre croit devenir fou entre un colosse débile, une cohorte de chiens empaillés, et sa douce fiancée, pas aussi douce qu'il le croyait. Quant à Paola, elle est complètement perdue quand elle se retrouve prisonnière dans un château, et perd toute notion de l'époque où elle vit et même de sa propre identité. D'autres nouvelles sont datées historiquement, comme ce jeu galant qui tourne mal à Chenonceau, au Château des Dames, ou cette tentative désespérée d'une jeune courtisane d'aller assassiner le sultan qui assiège Constantinople.
Ces nouvelles sont des fictions, dans un répertoire réaliste, qui surfe sur l'irrréaliste, ce qui peut l'apparenter à du fantastique et être perçu comme du conte. Le quotidien présente des ramifications inattendues...
Mais la dernière nouvelle n'est plus de la fiction. Elle traite d'une coutume affreuse, qui est le summum de l'écrasement de la femme par l'homme. Et là, on voit que l'horreur de la réalité peut dépasser celle de la fiction.
Le but, tout en racontant quelque chose qui intrigue le lecteur et le tienne en haleine, est de l'inviter à visiter ses propres peurs et à sonder ses propres pulsions de violence. Les mots, contrairement aux images, laissent une grande liberté d'interprétation et permettent à l'imaginaire du lecteur de s'approprier le récit et de le vivre à sa manière.
Extrait
Noces de broussailles
J'ai rencontré mon double.
Dans les entrailles du métro. Il y avait foule. La cohue fatiguée qui rentre du boulot. Je prenais l'escalier roulant, pas fâché d'arriver au bout de la journée, quand je l'ai vu qui descendait l'escalier contigu.
On s'est regardés pendant quelques secondes. Le temps de se croiser. Il ne m'a pas reconnu.
Évidemment… C'était un double différé. C’était moi à vingt ans, l'œil vif, le teint clair, le cheveu rebelle. Moi, je l’ai reconnu. Mais lui ? Comment aurait-il pu se reconnaître en cet homme morne en gabardine et chapeau mou ? On ne peut être confronté qu'à son passé. Jamais à son futur.
En arrivant à ma hauteur, il a détourné le regard. J'ai tendu la main, j'allais le perdre… Je l'avais perdu. Ce n’était déjà plus qu'un dos, qui s’éloignait. Si j'avais eu son âge, j'aurais sauté par-dessus la rampe, je lui aurais tapé sur l'épaule, je lui aurais dit... Mais mes quarante ans me pesaient dans les jambes. Ma mallette avachie se calait dans les rondeurs d'une rombière à mes côtés. Devant moi, des dos, serrés comme les troncs d’une forêt de sapins. Impossible d’avancer, de faire demi-tour, impossible de faire quoi que ce soit.
Désespéré, je regardais s'éloigner mon passé. Le temps d'être en haut, il avait disparu. Je me précipitai pour redescendre. Il fallait le retrouver. Savoir. Savoir quoi, je n'en savais rien. Mais savoir… Un grand froid me courait dans les veines. J'étais en train de poursuivre un fantôme. Mon fantôme.
Je le rattrapai sur le quai. Il trifouillait un sachet de cuberdons. Mes bonbons préférés ! Je m’approchai, il parut surpris. C'est alors que je vis sa gourmette : Luigi ! Luigi, c'est mon nom ! Et cette gourmette, c’était la mienne, je la reconnaissais, avec ces lettres déliées penchées vers la droite ! Plus de doute, c’était bien moi. Je me sentis pâlir.
II ouvrit son sachet en s’éloignant d'un pas nonchalant, son magazine sous le bras.
– Attendez !
Il s'arrêta, me fit face.
– Qu'est-ce' tu veux, pépère ?
Comment lui dire qu'il était moi ? Qu'il serait ce triste ballot dans vingt ans ? Alors qu'il rayonnait d'insouciance et de jeunesse ? Il haussa les épaules, s'envoya un cuberdon dans la bouche et froissa l'emballage avant de le fourrer dans sa poche.
Je le regardais intensément. Il hésita puis tourna les talons. Il marchait comme un puma sur ses Adidas. Il était beau. Je lui emboîtai le pas. Il se retourna brusquement.
– Tu vas me lâcher, oui ?
Plongeant la main dans sa poche, il en sortit une poignée de petits cônes rouges, qu'il se jeta un à un dans le gosier. La bouche pleine, il marcha sur moi, me prit la main et y plaqua le dernier. Puis s’en alla, ravi de son humour, en chiffonnant son sachet vide.
Je restais là, tout bête. « Tsss », fit une mémère en hochant la tête. Elle devait me prendre pour un pédé.
Machinalement, je mis le bonbon en poche et regagnai la surface. J'avais des pieds de plomb, mon cœur sonnait le glas. Le sentiment d’avoir perdu quelqu’un. Sentiment d’irrémédiable.
✵
À la boutique du coin, Angèle me demanda en posant sur moi sa grosse main d’épicière :
– Qu'est-ce qui ne va pas, monsieur Carloni ? Vous avez l'air tout chose ?
– Oh, ce n'est rien... J'ai rencontré mon double. Vous savez ce que c'est… La vie est bizarre.
– Oh là là, ne m'en parlez pas ! Des soucis, on en a tous son lot ! Ainsi, moi, tenez...
Et la voilà partie dans une de ces tirades interminables dont les protagonistes sont invariablement son bonhomme de mari et sa ribambelle d'enfants.
– Ah ma pauvre Angèle, vous avez bien du mérite, allez, dis-je pour couper court à ses doléances. Tenez, mettez-moi donc une bouteille de whisky.
Elle me fixa avec insistance :
– Ça va si mal que ça ?
✵
Dans mon deux-pièces de célibataire régnait un confortable désordre. J'ai allumé le réchaud pour ranimer ma tambouille, la télé pour me régaler de mauvaises nouvelles et oublier mon existence vide entre ce trou à rats que j'appelle mon chez-moi et l’antre poussiéreux où j’aligne des chiffres pour le compte des autres.
Assis sur mon sofa défoncé, je mange à même la casserole un cassoulet à la saveur de savonnette. Un phraseur pérore à la télé. Je le regarde, mais je ne l’écoute pas. Je vois sans cesse un gars aux cheveux noirs s'enfilant des cuberdons à la chaîne. Et rire en s’en allant…
C'était moi, sans aucun doute. Je l'ai vu de loin. Je l’ai vu de près. J'ai vu ses mains, ses ongles ronds. Ses oreilles trop grandes. Ses longs yeux gris étirés vers les tempes. Et ses cheveux bouclés qui faisaient ma fierté. C'était moi. Pas une illusion, je l'ai touché. D'ailleurs, il y a ce bonbon dans ma poche.
Ma gabardine râpée pend derrière la porte. Je mange, l'œil fixé sur elle comme si j'espérais voir au travers du tissu, mastiquant ma pitance avec l'indifférence d'un ruminant. Après avoir raclé le fond de la casserole, je me lève pour plonger la main dans ma poche.
Trouée ! Elle est trouée ! Pas d'indice, Columbo... Mais si, mon vieux, il y a un indice. Si tu as eu ce bonbon dans la main, il doit y rester des traces de sucre.
Je porte le poing à la bouche. Lentement, je déplie les doigts. J'y glisse la langue. Et c'est sucré. Indubitablement sucré. Je n'ai pas rêvé, je me suis bel et bien rencontré tout à l'heure sous la terre !
Je retire la main comme si j'y avais senti l'odeur du soufre. Je ne crois pas au surnaturel. Pas aux sosies non plus. Pas à ce point-là. Ce n'est pas possible. Et la gourmette ?
Il y a si longtemps que je ne l’ai plus, cette gourmette… Qu’est-elle devenue ? Je m’écroule sur le sofa et me sers une rasade de whisky. Sec. Ça brûle l'œsophage et la cervelle. C’est tout ce qu’il me faut. J'ai les oreilles qui bourdonnent et les idées qui s’embouteillent.
Revue de presse
Le Non-Dit
A lire les dernières nouvelles imaginées par Isabelle Fable, s’impose aussitôt la fameuse phrase du poète Fréderic-Lawrence Knowles : Je n’ai pas d’autre ennemi à craindre que la peur, avant qu’à notre tour nous passions par toutes les couleurs de l’effroi, les plus sombres et les plus troublantes, choisies sans crainte ni modération par l’auteur. Peur de son double, de perdre son identité ; peur d’un rival monstrueux et conquérant ; peur de la séquestration, d’un cachot pourri et obscur ; peur de la misère, d’y être jeté sans défense ; peur de la torture, de l’ennemi mortel, du viol de guerre ; peur de la laideur, de la perte de repères, de sa propre raison chancelante ; peur de l’autre, même des siens, de leur intolérance impitoyable, de leurs croyances absurdes et mortifères : elle se cache partout et se décline dans toutes les langues, tout au long de nos épopées sanglantes, de nos contes cruels et de nos récits d’épouvante, de nos tragédies ou de nos fascinants films d’horreur.
Isabelle Fable, la bien nommée, ne craint pas de convoquer tout l’arsenal et le décorum de circonstance, les poncifs et fonds de commerce enfouis dans les greniers et les ruines de nos mémoires, géants et ensorceleuses, infirmes ou vieilles pies, inquisiteurs ou jeteuses de sorts, tout un monde redoutable ou apeuré, en proie aux fantasmes ou aux complexes, en quête de salut ou d’oubli salvateur à l’abri des cauchemars.
Il fallait oser le mélange des époques, l’anachronisme à tous crins, la satire cinglante, les scènes implacables ou nauséeuses, le culte bafoué du héros, la mise à mal de nos rêves d’harmonie et de nos mirages d’amour. L’autrice va résolument, crûment même, au combat singulier contre les ombres traîtresses et les trompeuses tapisseries de victoires et de fêtes avec l’ardeur iconoclaste d’une militante de notre temps : haro sur l’ennemi ou le mâle quand il sème l’illusion ou le piège, le pari pervers sur le bonheur !
Son arme ? Un style mordant, une langue, vive et épicée, tranchante et drôlement efficace !
Un livre pour les amateurs du genre ? Du genre humain, sûrement pas. Par miracle, dans cette cour dolente des perdants et des effarés, quelques figures, à l’exemple de Hélène de Constantinople ou de la Figlia della Luna, ont fière allure et contrastent superbement avec le reste de la distribution qui fait vraiment peur à voir.
Michel Ducobu
Voyage au cœur des désirs contrariés (Le Carnet et les Instants – juin 2021)
Dans chacun des dix récits qui composent son dernier recueil, l’autrice bruxelloise Isabelle Fable habille l’angoisse d’une teinte nouvelle. Publié aux éditions M.E.O., Les couleurs de la peur traverse les lieux et les époques à la recherche des plus sombres recoins de la psyché humaine, arpentant l’imaginaire dévoyé de rêves qui ont mal tourné. C’est une lecture de soirs lourds où frémit la frontière entre fiction et réalité. Une lecture de lieux déserts et mal éclairés, lorsque le silence laisse place au murmure désordonné de toutes les histoires glaçantes qui gisent au fond de la mémoire, n’attendant qu’un bruit un peu trop irrégulier pour se réanimer.
Aiguisé au fil d’un suspense bien maîtrisé, le récit parvient à se déployer au-delà du cadre circonscrit du scandale familier. Isabelle Fable réinvestit les anecdotes qui hantent, les « et si… » qui assiègent, lorsqu’entre l’éveil et le sommeil l’esprit fiévreux bascule dans un entre-deux sans âge et sans limite. L’aspect baroque de ces histoires, qu’on croirait sorties tout droit de la rubrique « faits divers » d’un journal de province du siècle dernier, se voit contrebalancé par une écriture claire et précise, qui se prend parfois à chanter la nature – décor délicatement brossé sur lequel se détachent plusieurs intrigues.
Céline soupire et s’allonge, le nez au sol, le front sur ses bras repliés. Sa peau brûlée par le soleil a comme une odeur de silex. Des brins d’herbe lui effleurent les joues. On est bien ainsi, sur la terre, on fait corps avec elle, on la sent respirer. On est la terre elle-même.
Un fil rouge relie ces différentes nouvelles : la présence des femmes. De ces princesses de contes de fées dont, au premier regard jeté à leurs longs cheveux blonds comme les blés, de jeunes hommes tombent transis d’amour. Belles, cela semble aller de soi, mais aussi tourmentées : leur beauté camoufle une part sombre, un besoin d’action que ne laissait pas supposer l’apparence lisse d’une prétendue passivité. Sans pour autant échapper au destin que leur trace la société, les héroïnes d’Isabelle Fable esquivent le pire ; celui-ci, bien souvent, prend la forme d’un homme : vampire ou scientifique détraqué, empereur despotique ou randonneur à l’humour contestable. Sous la peau de ces femmes bouillonne une rage sourde, un désir de violence et d’émancipation qui, sans être pleinement réalisé, se devine au gré des pas de côté qu’elles tentent.
Entre étrange et épouvante, faux-semblants et véritables cruautés, Les couleurs de la peur déploie toute une palette de sentiments contrastés, de désirs et de pulsions brutales qui se matérialisent dans des récits ambigus, histoires troubles auxquelles on ne pourra pas s’empêcher de revenir lors des prochaines nuits d’insomnies.
Louise Van Brabant
D’un livre à l’autre
Dès les premières pages, le lecteur se rend compte que l'écriture est de qualité. J'ai aimé le style de l'auteure, c'est donc avec grand plaisir que j'ai lu ce recueil.
- La première nouvelle intitulée "Noces de broussailles" emmène son héros à la rencontre de son double ou plutôt d'un autre lui-même, tel qu'il était à 20 ans.
- "Gregor" emmène ses lecteurs dans un château à l'ambiance un peu glauque.
- "Figlia Della Luna" est la plus longue nouvelle et celle qui m'a le moins plu. Elle oscille entre notre époque et le Moyen Age où on brulait les sorcières.
- L'auteure nous emmène au château de Chenonceau pour "Drame au château des Dames".
- Byzance, Istanbul, Constantinople et plus particulièrement la forteresse de Rouméli-Hissar est le lieu où se déroule l'histoire, au XVe siècle, de "Quand Istanbul déboule à boulets rouges".
- Vous voulez rencontrer une jeune fille un peu dérangée? C'est dans "Le dernier papillon".
- Rencontre avec une voyante à la foire du Midi à Bruxelles dans "Plume".
- Un poisson d'avril surprenant dans "Le rendez-vous des vieilles pies".
- Une conquête du monde par les insectes? C'est dans "Ploc".
- Et on termine avec "Rouge amour", une nouvelle poignante sur l'excision.
Plus que les histoires que l'auteure nous raconte, c'est son style que je retiendrai. Ma nouvelle préférée est la dernière, car basée sur des faits réels qui font réellement peur puisque le titre du recueil annonce "les couleurs de la peur".
Philippe Desterbecq - D’un livre à l’autre
Critiques libres
Dans ce recueil, Isabelle Fable propose dix nouvelles où le monde actuel se mêlerait, dans certaines circonstances, à des univers moins cartésiens, des univers qui échappent à notre raison, des univers plus ou moins fantastiques, fantasmagoriques, comme la nouvelle dans laquelle l’héroïne séduite par un beau jeune homme se retrouve captive dans un château médiéval où elle subit quelques tourments avant de réussir à s’évader et à se venger. Elle passe du monde puéril d’aujourd’hui à un monde gothique, violent, terrifiant, angoissant, avant de revenir dans notre monde plus calme et plus serein, mais peut-être avec un souvenir de cet épisode terrorisant. On pourrait aussi évoquer la jeune fille inquiétée par un promeneur indélicat, qu’elle réussit à enfermer dans un placard qu’elle ferme hermétiquement, comme Jeanne Moreau dans « La mariée était en noir ». Le passage d’un monde d’adolescente révoltée contre sa mère à celui de victime potentielle d’un pseudo-psychopathe.
Plusieurs nouvelles sont construites sur ce principe : une scène banale de la vie courante est brusquement perturbée par un événement irrationnel, étrange…, qui conduit le héros aux frontières de la mort sans jamais, ou presque, la franchir, avant de le ramener sous des cieux plus cléments. Ainsi, le jeune homme qui prépare son mariage avec la fille du gardien du château, est brusquement assailli par un monstre aux deux visages : un géant débile et un chien empaillé. Il est quasiment étouffé quand la fille le sauve et le ramène vers des temps plus propices pour lui et celle qu’il doit épouser. Ce thème de la mort tutoyée me rappelle un précédent roman d’Isabelle dans lequel elle évoque toutes les personnes de son proche entourage qui sont décédées brutalement. J’ai eu l’impression de voir dans ces nouvelles comme un refus de la fatalité de la mort qu’elle dénonçait dans ce précédent roman. Je me souviens de ces deux vers :
« Ecrire pour évacuer la douleur
Ecrire pour conjurer la mort »
La violence et l’irrationalité de certaines scènes peuvent émouvoir ceux qui ne sont pas, comme moi, des lecteurs réguliers de la littérature fantastique. Mais l’écriture d’Isabelle les rassurera vite, elle est élégante, fluide, riche de mots rares et ornée de formules de style toujours judicieusement placées. L’auteure n’étale jamais l’horreur pour l’horreur, ne cherche pas comme certains à écœurer le lecteur, mais seulement à donner toute sa dimension fantastique aux scènes qui font vivre ses nouvelles. Moi, j’ai bien aimé l’angoisse qu’elle crée en utilisant les jeux de double, voire de triple. Un homme d‘âge mûr est pris d’une réelle panique quand il croise dans le métro un homme qui pourrait être lui quand il avait une vingtaine d’années de moins. Un jeune homme accompagne la fille qu’il aime bien à la fête, où il est vite perturbé par deux autres filles, qui pourraient être chacune un double de son amie, mais chacune avec un handicap.
Le recueil s’achève sur un texte moins étrange mais plus bouleversant encore, il raconte comment une jeune file retourne sur sa terre natale en Afrique, où sa grand-mère l’a purifiée à jamais, elle l’a excisée et infibulée. Et si l’horreur au quotidien était plus violente que l’horreur distillée dans la fiction littéraire ?
Denis Billamboz
Nos Lettres (Association des Écrivains belges - AEB)
Dans ce nouvel ouvrage, Isabelle Fable nous embarque dans des nouvelles contrastées qui tirent vers le conte, cruel ou bien drôle, en tout cas jamais mièvre, toujours piquant.
Au fil des dix histoires, on trouve des Barbe bleue, des belles captives, une sorcière ou l’autre, un papillon sans ailes, un chien empaillé et des chats. Mais aussi des traquenards et des malentendus sur des noms, des variations sur le thème du double, une structure de conte classique souvent dévoyée, ce qui donne tout son sel au recueil.
Plus d’un personnage féminin se joue du rôle qu’on lui attribue pour prendre sa revanche, d’une manière vive ou plaisante.
Ainsi, dans Figlia della luna, Paola, une plasticienne en vacances, est emprisonnée, accusée de sorcellerie, ce dont elle se défend. Elle réussira à s’évader et rendre à son ravisseur la monnaie de sa pièce en le prenant au mot.
Dans une des plus savoureuses nouvelles, Drame au château des Dames, un comte organise un jeu galant où des dames affublées d’un bandeau sur les yeux doivent trouver la sortie la première pour devenir son épouse. Mais le vicomte chargé d’organiser le concours y introduit une souillon affectée d’un handicap…
Dans Plume, un jeune homme du nom de Plume est, dans le cadre de la foire du Midi, confronté à une multiplication de doubles de sa fiancée…
Enfin dans, Rouge amour, la terrible nouvelle qui clôt le recueil, on ne rit plus, on sort de la pure fiction ; Isabelle Fable raconte une excision doublée d’une infibulation…
Comme le titre de l’ouvrage l’indique, le thème de la peur est décliné différemment dans chaque nouvelle ; cela va de la peur bleue ou verte à la peur blanche en passant par tout le spectre des frayeurs ou appréhensions. Peurs se fondant sur un leurre, peurs paniques ou peurs primitives, on sait que ce sentiment fait partie prenante du monde du conte et Isabelle Fable en fait dans ses récits le meilleur usage possible.
On en redemande.
Éric Allard dans « Les Belles Phrases »
Reflets Wallonie Bruxelles
Passé, futur, présent et humour constituent la recette des nouvelles d’Isabelle Fable : « La mort m’a fait signe. C’est mon heure. Déjà ? Un cri s’échappe de ma poitrine. Comme si je rendais le dernier soupir. Mais le rendre à qui ? ».
Les ambiances sont très scénarisées et bien rendues ; les dialogues vifs et mêlés directement à l’action. Les sentiments humains et les émotions, comme souvent dans le genre fantastique proche de celui de Thomas Owen ou de Jean Ray (dans « La cité de l’indicible peur »), sont exacerbés entre amour, sang, mort où plane l’idée générale de ce qui aurait pu « être autre si… » : « J’ai eu bien trop de mal à me tailler un semblant de vie dans un semblant de soleil ».
Parfois un soupçon de philosophie se glisse dans les propos de l’auteure : « Une petite fleur séchée collait encore à l’une d’elles. Paul la considéra d’un air rêveur. En voilà une qui ne serait jamais fraise ».
Dans cette façon de faire prédomine parfois une folie douce là où tout n’est pas crédible mais semble l’être. C’est là tout l’art d’une telle écriture quand la vie elle-même parfois suscite l’idée d’un certain malaise mené, dans le genre, à son paroxysme : « On ne doit pas venir souvent dans ce cimetière de chiens-momies. Qui chercherait la compagnie de ces coquilles remplies de crin ou de chiffons, miroir de ce qui nous attend ? »
On notera que la forme interrogative est très souvent utilisée dans un genre où se poser des questions, c’est souvent ne pas trouver de réponses plausibles dans la réalité convenue habituellement. Dans ce monde d’apparences trompeuses, la narratrice, en retrait des évènements, peut frémir à son aise après avoir cru en sa bonne étoile : « Être élue du seigneur, celle qu'il fait danser, qu’il entoure de prévenances et couvre de regards tendres… La jalousie, le dépit qu’elle décèle dans les yeux des autres femmes ne sont pas sans pimenter son plaisir ». Entre faux jeux de rôle, genre Cendrillon ou Barbe Bleue, l’auteure se fait comédienne des semblants à souhait de lecteur : « Du maquillage, évidemment. Qu’elle est gourde ! Mais c’est qu’ils jouent tous si bien. Même les figurants ont de ces airs méchants à faire froid dans le dos ».
Revisitant à sa façon châteaux ou labyrinthes, la nouvelle a parfois vocation à conter avec une morale à la clé, ce qui révèle les choix et l’état d’esprit de l’auteure qui, n’en doutons pas, s’amuse aussi des intrigues.
Un ton juste remet la vie à la bonne place quand, dans une ambiance de guerres, la femme et la naissance, donc aussi l’avenir, s’adjugent le rôle déterminant : « Constantinople se meurt. Istanbul s’éveille au milieu des flammes. Le soleil monte, majestueux, indifférent. Plus rouge que la ville en feu… Un dernier regard sur l’ocre des fortifications, magnifiques dans ce flamboiement, sur la cité qui lance son chant du cygne. Un premier regard sur cet enfant, qui redonne un sens à la vie »
La peur peut avoir, on le sait plusieurs visages et parfois on se demande, en situation entre deux personnes avec un cagibi fermé à clé pour enjeu qui a le plus peur des deux. A moins, bien sûr que le lecteur n’ait lui une peur bleue d’encre de découvrir tout ce qu’on peut évoquer à partir d’une simple aile de papillon, de quelques miaulements d’un chat, d’un rêve qui se fait cauchemar entre chiens empaillés ou même de quelques insectes bien utilisés, les animaux ayant toute leur place dans les idées successives de l’auteure.
Patrick Devaux
Bruxelles Culture
Il ne s’agit pas d’un roman, mais d’un recueil de nouvelles qui brassent le chaud et le froid, qui empruntent les sentiers sinueux de l’étrange pour se vautrer dans des mondes a priori loin de nos habitudes. Avec une plume enlevée, Isabelle Fable mise sur la diversité afin de nous enchanter, nous faire frémir ou nous amener à tester la distance qui nous sépare de mondes qui ne nous sont guère familiers ou qui, au contraire, présentent tous les aspects du quotidien. De meublé en château, de grenier en cachot, d’Afrique en Italie, elle fait voyager ses personnages saisis dans une spirale entre passé et présent, rêve et réalité, bonheur et horreur, avec un concentré de toutes leurs peurs et illustrées de mille couleurs. Tout s’y chevauche dans un ordre réfléchi : vie, mort, amour, mystère, démence, cruauté… ensemble servi par un rythme serré.
Au demeurant, dix récits plus ou moins longs qui crispent les entrailles et font la part belle à l’imaginaire.
Sam Mas
Radio Air Libre
Isabelle FABLE nous propose « Les couleurs de la peur », un recueil de 10 nouvelles, ou plutôt un recueil de contes fantastiques avec e.a. des histoires de mariages ou de relations de couple qui tournent mal ou ont mal tourné. Elle trouve, de ce fait, sa place au sein de l’école belge du fantastique et de l’étrange. Signalons que la dernière nouvelle du recueil aborde un sujet particulièrement dramatique : l’excision…
Guy Stuckens
Christian Van den Hende a relayé l’info (service de presse) sur le site Ardenneweb et sur www.bruxelles-city-news.be et Bruxelles-news (FB)
Cet article sera aussi présenté en condensé sur les radios libres suivantes : Alma, Gold FM, Radio BELGAHAY, Radio EQUINOXE et Radio MAROLLES
Interview par Marie Ève Stevenne, pour RCF. Repris ci-dessous, le podcast peut également être écouté sur le site RCF Bruxelles, dans l'émission "La librairie des ondes". RCF Bruxelles sur 107.6 FM