L'imbroglio
Roman policier
2003
Inédit
Présentation
Une mort suspecte dans le village imaginaire de Bay-les-Étangs. Le maire du village est trouvé mort dans son bureau. Empoisonné. Toute la famille est possiblement responsable de sa mort, et même ses administrés, car M. Demoulin n’était ni aimable ni aimé… Tout le monde avait de bonnes raisons.
À l’inspecteur Toussaint et à son fidèle adjoint, Yvan Fagot, de démêler le vrai du faux dans cet imbroglio inextricable.
Roman rédigé en étoffant la nouvelle intitulée Les belles vénéneuses (datant de 1992), pour le plaisir de développer un texte et de le voir s’étendre, comme un arbre qui se développe à partir d’un simple rameau.
Extrait
Tout dormait au village de Bay-les-Etangs. Seule une fenêtre brillait dans la nuit. Celle du bureau de Julien Demoulin, le maire du village, ouverte sur la place ombragée de tilleuls. Et tout là-haut, la lune allongeait sa lumière dolente, donnant aux pavés un habit de dentelles mobile.
Dans sa mansarde, Clémence se dressa d’un bond sur son lit et troua la nuit de ses yeux ronds. Jeta un coup d’œil aux aiguilles phosphorescentes d’un réveil invisible et soupira. Trois heures dix.
Se laissant retomber sur l’oreiller de crin, elle referma les yeux. Il lui restait trois heures avant que ce maudit tas de ferraille lui donne sur le crâne le premier coup de marteau de la journée. Obéir à une mécanique. Toujours obéir. Quand on est servante de naissance, on n’a pas d’état d’âme. Mais tout de même…
Elle replongea pour savourer sa maigre tranche de sommeil. Hélas quand on dort, les heures n’ont pas d’épaisseur et la sonnerie la trouva à six heures avec l’impression d’avoir fermé les yeux juste pendant quelques minutes.
Elle se leva pourtant sans rechigner, fit une toilette rapide, fixant dans le miroir piqueté de noir l’étonnant reflet de son visage. Tout blanc, tout rond sous une chevelure rousse et frisée qui lui faisait comme un casque crépu. Un nez en vesse-de-loup, une bouche molle et rouge, une fente entre les dents... Et à la place des yeux, deux petits trous noirs, brillants comme des boutons de bottines, selon l’expression consacrée, bien que personne ne porte plus de bottines à boutons à l’heure qu’il est. Un visage affreux mais qu’on n’oubliait pas.
Clémence quitta sa mansarde et glissa sur ses chaussons jusqu’à la cuisine. Son domaine réservé… Elle la retrouvait tous les matins, avec les odeurs de la veille incrustées dans les murs. Ouvrit la fenêtre et commença à s’activer. Ses mains aux ongles rongés de près semblaient munies de caoutchouc, tant elles excellaient à manipuler vaisselle et verres en silence.
Une bonne odeur de café se répandit dans la maison. Puis un fumet de pain grillé. Elle s’attabla tranquille et grignota ses toasts en écrasant les miettes pour s’occuper les doigts. Elle préférait le pain frais. Mais ils aimaient s’éveiller à ce parfum, alors elle le grillait.
La table de la salle à manger dressée, Clémence se dirigea vers le bureau du maire pour l’aérer, car Monsieur y avait travaillé tard la veille et détestait l’odeur de renfermé. La porte émit son habituel grincement en s’ouvrant. La lumière était allumée et la fenêtre ouverte. Le maire, à son bureau, semblait dormir, la tête et les avant-bras étalés sur ses papiers épars.
La servante l'observa pendant un moment de ses petits yeux inexpressifs. Un rayon de soleil jouait sur la nuque alanguie et le col de la robe de chambre dont il s’enveloppait tous les soirs avant de se retirer dans son bureau. Elle finit par s’approcher, et lui glissa la main dans le cou, là où l’on sent battre la carotide.
Au bout de dix secondes, la main quitta la gorge et décrocha le téléphone. Sans émotion apparente, Clémence déclara d’une voix posée en dépoussiérant l’appareil du bout du doigt :
- Police-Secours ? On vient d’assassiner M. Demoulin.
Et elle quitta la pièce en emportant la tasse qui se trouvait sur le bureau.
***
Avant de quitter sa vieille 2 CV, Roland Toussaint regarda pendant de longues minutes la place et les bâtisses. Il travaillait à l’intuition et se laissait imprégner par les ambiances avant d’interroger les gens et d’opérer des investigations policières. Il prétendait que les ambiances avaient des choses à raconter à qui savait les écouter.
À ses côtés, Yvan Fagot, petit homme calme d’une trentaine d’années, gardait un silence respectueux et, à l’instar de l’inspecteur intuitif qu’il secondait, tentait de s’imprégner au maximum de l’atmosphère du village avant d’entamer l’enquête.
Partant du principe que la maison est la deuxième peau d’un homme et en trahit la personnalité, Toussaint étudiait la façade de la demeure du premier homme du village subitement décédé dans la nuit, assassiné, aux dires de la servante.
Grande maison en briques couleur sable, châssis de fenêtres rouge sang et profusion de plantes à l’assaut de la façade. Belle maison, cossue, harmonieuse. Mais fermée, comme peut l’être un visage, derrière son rideau de verdure. La vigne vierge donnait l’impression d’être la véritable propriétaire des lieux.
La porte était fermée. Le policier de faction devant la maison devait s’ennuyer ferme ou souffrir d’eczéma, car il n’arrêtait pas de se gratter la paume des mains.
- On y va ! fit l’inspecteur en ouvrant la portière.
Il avait garé sa voiture un peu à l’écart, voulant se mêler aux badauds avant de se présenter comme l’inspecteur chargé de l’affaire. Bien sûr, il ne passa pas inaperçu. Dans un village, tout le monde se connaît et l’on regardait arriver les deux inconnus avec des points d’interrogation dans le regard.
Il faut dire que Roland Toussaint, contrairement à Poirot, Maigret ou Columbo, était plutôt bel homme. Grand et décontracté, l’allure d’un Belmondo, mais un visage des plus avenants. Son compagnon était un peu falot, mais sympathiquement falot, mal fagoté, cheveux cendrés hérissés en toupets, les yeux pâles derrière des lunettes de myope. Très souriant. Autant le premier inspirait l’intérêt, surtout féminin, autant le second inspirait la sympathie.